| Les images épiques, symboliques, religieuses, descriptive, sonores et visionnaires dans la Chanson de Roland. Carlos González González Les images épiques On trouve une qualité minutieuse dans ce type d'images. Leur expression est simple, directe. Elles expriment parfois une grande viloence. En voilà des exemples : "Dans la cité plus un païen est resté : tous furent occis ou faits chrétiens". "Vous fîtes partir vers le païen deux de vos comtes (...); dans la montagne, sous Haltilie, il prit leurs têtes". "Si vous ne voulez pas accepter cet accord, le roi viendra vous assiéger (...), vous serez droit à la cité d'Aix; vous n'aurez dans la route palefroi ni destrier, vous serez jeté sur une mauvais bête de somme; là, par jugement, vous aurez la tête tranchée". On étudiera plus attentivement ici les images de batailles qui présentent un intérêt particulier : "Roland éperonne son cheval, le laisse courir, à plein élan, va frapper Aelroth le plus fort qu'il peut. Il lui brise l'écu et lui décloît le haubert, lui ouvre la poitrine, lui rompt les os; lui fend toute l'échine. De son épieu, il jette l'âme dehors. Il enfonce le fer fortement, ébranle le corps, à pleine l'abat mort du cheval, et la nuque se brise en deux moitiés". "Il lui perce le coeur, le foie et le poumon, et l'abat mort". "Des sarrasins il fait grand carnage. Si vous eussiez vu comme il jette le mort sur le mort". "Il lui écrase son écu blanc contre le coeur, déchire les pans de son haubert, lui ouvre la poitrine en deux et l'abat mort de son cheval rapide". Le combat singulier Charles-Baligant est présenté, comme l'on verra, dans toute sa cruauté et réalisme : "Il frappe Charlemagne sur son heaume d'acier brun, le lui brise sur la tête et le fend; la lame descend jusqu'à la chevelure, prend de la chaire (...), l'os reste nu (...). Saint Gabriel est revenu vers lui, qui lui demande "Roi Magne, que fais-tu? (...) De l'épée de France il frappe l'émir. Il lui brise son heaume où flambent les gemmes, lui ouvre le crâne et la cervelle s'épand, lui fend toute la tête jusqu'à la barbe blanche, et sans nul recours l'abat mort". La lutte médievale Pinabel Thierry peut être considérée comme un modèle typique du genre de l'époque. Lisons le récit : "Sous Aix la prairie est très large. Là sont les deux barons (...), leurs chevaux sont rapides et ardents. Ils les éperonnent bien (...). Les écus se brisent, volent en pièces, les hauberts se déchirent, les sangles éclatent, les troussequins versent, les selles tombent à terre. Cent mille hommes pleurent, qui les regardent". "Les deux chevaliers sont tombés contre terre. Rapidement, ils se redressent de bout (...). De leurs épées aux gardes d'or pur, ils frappent et refrappent sur les heaumes d'acier : les coups sont forts, jusqu'à fendre les heaumes". "Ils recommencent (...). Contre le ciel volent, claires, les étincelles". "Pinabel lui présente la pointe de sa lame d'acier. Elle descend sur sa front (...). Thierry en a la joue droite sanglante. Il lui fend son haubert jusqu'au dessus du ventre. Dieu le protège". "Il frappe Pinabel sur heaume d'acier brun, le brise et le fend jusqu'au nasal, fait couler du crâne la cervelle, il secoue sa lame dans la plaie et l'abat mor". La victoire n'est jamais obtenue d'une façon absolue. Il y a toujours une intervention divine. Chez Charles c'est Saint Gabriel qui est descendu du ciel. Chez Thierry c'est Dieu même qui le protège. On remarquera que les images concrètes de la bataille sont extrêmement réalistes et dures. On dit par exemple : se répandre la cervelle, fendre la tête jusqu'à la barbe blanche, fendre le haubert jusqu'au dessus du ventre, etc. Les images symboliques Au Moyen Âge il y a certains objets qui prennent une signification symbolique. Parfois cette signification est exprimée directement : "Vers Charlemagne...vous porterez en vos mains des branches d'olivier, ce qui signifie paix et humilité". Tout de même on signale une relation signifiant-signifié par l'intermédiaire d'un mot qui perd son sens. On constate que les formes symboliques les plus courantes sont celles-ci : le gant, l'épée, la barbe, le nom des chevaux. Le gant exprime une signification virtuelle de donation, d'engagement, de remise. En voilà des exemples : "L'Empereur lui tend son gant, celui de sa main droite". "Mais (...) quand Ganelon pensa le prendre, le gant tomba par terre. Les Français disent :"Dieu quel signe est-ce là? De ce message nous viendra une grande perte". "Le roi Marsile lui en donne le gant". "En gage donnez-lui ployé ce gant paré d'or". "De son poing gauche Marsile a pris un de ses gants : seigneur, roi, dit-il, émir, je vous donne toutes mes terres (...) Et l'émir répond (...) je reçois votre gant". "Vingt mille combattants furent tués, de ceux de France tous les autres, je ne les pris la valeur d'un gant". "Il remet au roi (...) le gant de sa main droite", "Quand Thierry voit qu'il aura bataille, il présente à Charles son gant droit. L'empereur le met en liberté sous caution". L'épée peut predre un sens de personnage à qui l'on parle : "Il a tiré l'épée du fourreau (...) Il lui dit : vous êtes tr`s belle et claire (...), sans que les plus vaillants vous aient acheté à votre prix". Parfois c'est une sens religieux : "Sur les reliques de son épée Murglais, il jura la trahison". D'autrefois cet instrument reçoit un nom et une conscience propre. Ainsi : "J'y frapperai de Durendal, mon épée, mon épée, et vous, compagnon, vous frapperez de Hauteclaire (...) Il ne faut pas que l'on chante d'elles un emauvaise chanson". C'est aussi un sens d'engagement : "S'il y a un parent qui veuille m'en donner le démenti, je veux, de cette épée que j'ai ceinte, soutenir sur l'heure mon jugement". La barbe est un symbole de virilité, de force, de majesté, parfois (lisser la barbe) de préoccupation. En voilà quelques citations : "...le roi qui tient douce France. Sa barbe est blznche et tout fleuri son chef : à qui le cherche n'est besoin qu'on le désigne". "...par cette mienne barbe, vous n'irez pas de si tôt si loin de moi". "Par cette barbe que vous voyez toute blanche, malheure à qui me nommerait l'un des douze pairs". "Plein de courroux, le roi Charles chevauche. Sur sa brogne s'étale sa barbe blanche" "Charles le roi a porté la main à sa barbe, il se remémore son deuil et ce qu'il a perdu". "...Où est Roland (...) Charles pleure, tire sa barbe blanche". "Le roi à la barbe chenue en est rempli de fierté". Notamment, tous les chevaux reçoivent un nom : "Il monte le cheval qu'il appelle Gramimond". "Il monte le cheval qu'il appelle Saut-Perdu". "Il monte le cheval qu'il appelle Marmoir". "Marsile monte le cheval qu'il appelle Gaignon". On peut penser à une personnification des animaux, extensible à d'autres objets, surtout les épées : L'émir nomme son épée Précieuse et Précieuse est son cri d'armes". "Il saisit son épieu, qu'il appelle Maltet". Finalement, il faut analyser une image très symbolique et bien significative : "Vers l'Espagne Roland a tourné son visage". Cette image exprime la fierté, le courroux du héros qui meurt et fait toujours face à l'enemi. Les images religieuses Dans la conception médiévale dans laquelle se déroule cette chanson, il y a toujours une opposition le bien/le mal, le premier représenté par le chrétien, le second par le païen. Évidemment, les Français ont la protection de Dieu ou des saints, et les Sarrasins des démons. D'où : "Et l'archevêque leur a tué Siglorel (...) déjà descendu en enfer : par sortilège, Jupiter l'y avait conduit". "Un sarrasin ne croit pas en Dieu, le fils de Sainte Marie. Il est aussi noir que poix fendue". "Le païen choit comme une masse. Son âme, Satan l'emporte". "Saint Gabriel l'a pris de sa main (...) Dieu l'envoi son ange Chérubin et Saint Michel du péril : avec eux y vint Saint Gabriel. Ils portent l'âme du comte en paradis". "Avec Bramimonde plus de 20.000 hommes (...) vers Apollin ils courent, dans un crypte, le querellent, l'outragent laidement (...). Qui te sert bien, tu lui donnes un mauvais salaire". "Cette lutte ne peut cesser que l'un des deux n'ait reconnu son tort". "On mène les païens jusqu'au baptistère; s'il en est un qui résiste à Charles, le roi le fait pendre, ou brûler ou tuer par le fer. Bien plus de cent mille sont baptisés vrais chrétiens, mais non la reine (...) Le roi veut qu'elle se convertisse par amour". "Ils s'en retournent (...) Jusqu'à Blaye il a conduit son neveu, et Olivier (...) et l'archevêque (...) C'est à Saint Romain qu'ils gisent, les vaillants. Les Français les remettent à Dieu et à ses noms." On y aura remarqué la confusion de l'auteur : Jupiter et Apollin ne sont pas de dieux sarrasins mais l'un latin et l'autre grec. Toute l'oeuvre et remplie de notes et de petites actions et coups religieux. Ainsit trouve-t-on : "Les Français descendent du cheval, se prosternent contre terre, et l'archevêque, au nom de Dieu, les a bénis. Pour pénitence leur ordonne de frapper". "L'archevêque dit sa coulpe, il a tourné ses yeux vers le ciel, il a joint ses deux mains et les lève : il prie Dieu pour qu'il lui donne le paradis. Puis il meurt, le guerrier de Charles". "Quand Charles voit que les païens sont tous morts (...) rend grâces à Dieu". "Nous savons bien ce qu'il en fût de la lance dont Notre Seigneur fut blessé sur la Croix : Charles, par la grâce de Dieu, en possède la pointe et l'a fait enchâsser dans le pommeau d'or". "De sa main droite Charles les bénit" (les poitevins). "L'empereur descend de son cheval. Sur l'herbe verte il s'est couché, face contre terre. Il tourne son visage vers le soleil levant, et de tout son coeur invoque Dieu". "Vrai Père (...), défends-moi, toi qui sauvais Jonas". "Le roi croit en Dieu : Il veut faire son service". "Ils s'en retournent (...) sur l'autel du baron Saint Sevrin". Les images descriptives La description du paysage est, au moment de la bataille, mystérieuse. Il y a une inter-relation esprit-nature. Ainsi nous dit-on : "Hauts sont les monts, et ténébreux et grands, les vaux profonds, les eaux violentes". "Roland regarde par les monts, par les collines. De ceux de France, il en voit tant qui gisent morts, et il les pleure en gentil chevalier". D'ailleurs, on retrouve un trait qui marque la structure de la cité médiévale. C'est celui qui décrit la zone d'habitation des bourgeois. En voilà la citation : "Les païens passent dix postes, traversent quatre ponts, longent les rues où se tiennent les bourgeois. Comme ils approchent au haut de la cité, ils entendent une grande rumeur, qui vient du palais". On peut remarquer la formation du bourg hors de la cité, représentant la zone commerciale pour ainsi dire. Encore le propre auteur est-il enthousiaste des faits qu'il décrit et narre : "Qui aurait vu ces écus fracassés, qui aurait ouï ces blancs hauberts retentir, ces écus grinces contre les heaumes, qui aurait vu ces chevaliers choir (...) et mourir contre terre". On doit signaler que les démonstratifs sont employés ici en tant que des présentatifs des objets et des personnes. Les images sonores On examinera dans ce chapitre les exclamations, lesquelles peurvent être classées dans deux ttypes différents : a) Les salutations b) Les expressions de colère et de commendement a) Les salutations ont un certain contenu religieux, comme l'on verra tout de suite : "Salut au nom de Dieu, le Glorieux, que nous devons adorer". "Blancadrin dit au roi : "Salut, au nom de Mahomet et d'Apollin, de qui nous gardons les saintes lois". Il y a parfois des formes stéréotypées comme les suivantes : "Ne plaise au Seigneur Dieu". "... je ne laisserai pas, pour tout l'or que fit Dieu". "Ne craignez rien! Plus vaut Mahomet que Saint Pierre de Rome". "Vrai Père, en ce jour, défends-moi". "Dieu! quel baron, s'il était chrétien". "Allez, par le congé de Jésus et par le mien". b) On peut distinguer, comme l'on a déjà dit, deux types : les expressions de colère et les expressions de commendement, les prmières étant bien claires, les secondes bien directes. Exemples : "Charles dit à Roland : "Fou! pourquoi ta frénésie?". "Ah truand, méchant homme de vile souche, l'avais-tu donc cru?". "Les païens disent : "Qui te sert bien, tu lui donnes un mauvais salaire". "Allez-vous rasseoir sur ce tapis blanc! N'en parlez plus, se je ne vous l'ordonne". "Allez, par le congé de Jésus...". De toute façon, les images les plus expressives sont celles qui racontent la bataille, exprimée d'une forme narrative. En voilà des exemples : "...Les Français les passent à grande douleur. De quinze lieues on entend leur marche". "Claire est le jour et beau le soleil; par une armure qui toute ne flamboie. Mille clairons sonnent, pour que ce soit plus beau. Le bruit est grand : les Français l'entendirent". "À ces mots les Français poussent le cri d'armes. Qui les eût crier : "Montjoie" aurait le souvenir d'une belle vaillance". "Sa tempe se rompt. La voix de son cor se répand au loin. Charles l'entend, au passage des ports". "Le roi dit : "Ce cor a longue haleine". "À l'arrière, à l'avant, les clairons sonnent et tous ensemble répondent à l'olifant". "Les païens disent (...) De ceux de France, nous entendons les clairons sonner clair; ils crient "Montjoie" à grand bruit". "Les clairons retentissent, et leurs voix sont très claires". Les images visionnaires Nous appelons des images visionnaires tout ce qui appartient au monde du rêve, de la rêverie, etc., que le mouvement surréaliste a bien diffusé. Il est surprenant d'en trouver assez dans la Chanson de Roland qui est, en fin de compte, une composition épique. D'ailleurs, ce trait est très propre de la chanson épique française, par opposition à l'espagnole, plus réaliste. En voilà la démonstration : "Charles dort, l'empereur puissant. Il eut un songe : (...) entre ses poings il tenait sa lance de frêne. Ganelon le comte l'a saisie; si rudement il la secoue que vers le ciel en volent des éclisses. Charles dort, il ne s'éveille". "Après cette vision, une autre lui vint. Il songea qu'il était en France, en sa chapelle, en Aix. Une bête très cruelle le mordait au bras droit. Devers l'Ardenne il vit venir un léopard, qui, très hardiment, s'attaque à son corps même. Du fond de la salle dévale un vautre; il court vers Charles au galop et par bonds, tranche à la première bête l'oreille droite et furieusement combat le léopard. Les Français disent : "Voilà une grande bataille! Lequel des deux vaincra? Ils ne savent. Charles dort, il ne s'est pas réveillé". "Cette nuit une vision me vint, de par un ange : entre mes poings, Ganelon brisait sa lance, et voici qu'il a marqué mon neveu pour l'arrière-garde". "Charles dort (...) Dieu lui a envoyé Saint Gabriel (...). Par une vision, il lui annonce une bataille qui sera livrée. Il la lui montre par des sgines funestes (...), Des ours et des léopards veulent les dévorer, des serpents et des guivres, des dragons et des démons. Et plus de trente milliers de griffons sont là (...). D'une forêt vient contre lui un grand lion, plein de rage, d'orgueil et de hardiesse. Le lion s'en prend à sa personne même et l'attaque : tous deux pour lutter se prennent corps à corps". "Après cette vision une autre lui vint : qu'il était en France, en Aix, sur un perron et tenait un ours enchaîné. Du côté de l'Ardenne il voyait venir trent ours". Chacun parlait comme un homme. Ils lui disaient : "Sire, rendez-le-nous (...) Il est notre parent (...) De son palais accourt un lévrier (...) Il attaque l'ours le plus grand (...) Le roi ne sait qui vainc, qui est vaincu. Voilà ce que l'ange de Dieu a montré au baron. Charles dort jusqu'au lendemain, au jour clair". "Le roi s'est couché dans sa chambre voûtée. De par Dieu, saint Gabriel vient lui dire : "Charles (...) lève tes armées! Par vive force (...) tu secourras le roi Vivier dans sa cité d'Imphe (...) L'empereur voudrait ne pas y aller (...) ses yeux versent des larmes, il tire sa barbe blanche". Le rapport entre la chose symbolisant et la chose symbolisée est direct, mais il y a toute une symbolisation naïve, littéraire, très imaginative. Ces rêveries illustrent le récit, et les auditeurs ont le sentiment d'avoir ouï une histoire magique, extraordinaire, poétique. |