| L'Éducation sentimentale : Une étude socio-historique du texte. Carlos González González Flaubert et le réalisme. L'auteur nous dit : "Il y a en moi, littéralement parlant, deux bonshommes, un qui est épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée; un autre qui creuse et qui fouille le vrai tant qu'il peut, qui aime à accuser le petit fait aussi puissamment que le grand, qui voudrait faire sentir presque matériellement les choses qu'il reproduit". Cet élan de réalisme, "d'accuser le petit fait aussi puissamment que le grand", fait que L'Éducation sentimentale soit une oeuvre mi-littéraire, mi-historique, comme l'on verra tout de suite. La documentation minutieuse est pour Flaubert la condition principale de son travail d'écrivain. Dans L'Éducation sentimentale, il nous décrit l'atmosphère parisienne entre 1840 et 1851, en particulier les journées révolutionnaires. C'est cette époque-l'a que l'on va étudier en considérant les citations du texte. La Garde Nationale Elle a joué un rôle très important à l'époque parce qu'elle proclamait la Réforme et cet engagement fut décisif dans la Révolution de 1848. Voyons : "Les pétitions pour la Réforme, que l'on faisait signer dans la garde nationale, jointes au recensement Humann, d'autres événements encore amenaient depuis six mois, dans Paris, d'inexplicables attroupements, et même ils se renouvelaient si souvent, que les journaux n'en parlaient plus". "À la nouvelle d'un changement de ministère, Paris avait changé. Tout le monde était en joie (...) Dans la garde nationale (...) les officiers brandissaient leur sabre en vociférant Vive la réforme". La composition de la garde nationale était variée : des bourgeois comme M. Arnout ou des citoyens communs : "Elle lui disait : - Mais reviens donc! reviens donc! - Laisse-moi tranquille! répondit le mari. Tu peux bien surveiller la loge toute seule (...) J'ai fait mon devoir partout, en 1830, en 32, en 39! Aujourd'hui, on se bat. Il faut que je me batte! Va-t-en!" Il y a aussi la classe ouvrière : "En 1830, les ouvriers sont entrés dans la garde nationale, sans même avoir le bon sens de la dominer" Mais la garde nationale n'avait pas un prestige consolidé. Un républicain convaincu comme Sénécal la déteste : " - Vous m'avez l'air d'un fameux garde national. - Je n'en suis pas! et je la déteste autant que vous". Celles-ci sont donc toutes les références qu'on peut trouver dans le texte là-dessus. La monarchie de Louis-Philippe Louis-Philippe est critiqué directement sur le plan de la politique internationale : "Moi, ce que je reproche à Louis-Philippe, c'est d'abandonner les Polonais". "Nous avions sacrifié la Hollande pour obtenir del'Angleterre la reconnaissance de Louis-Philippe, et cette fameuse alliance anglaise, elle était perdue, grâce aux mariages espagnols". Les étudiants sont contre lui, de même que les bons patriotes. C'est seulement la bourgeoisie qui le soutient, bien qu'au moment de la Révolution tout le monde défende la République. En voilà des citations : "-À bas les vendus! - À bas Louis-Philippe! La foule oscilla, et se pressant contre la porte de la cour qui était fermé, elle empêchait le professeur d'aller plus loin. Cette image, intitulée une bonne famille, avait fait les délices des bourgeois, mais l'affliction des patriotes" (C'est la famille royale). Sénécal est le prototype du républicain austère. De mème que le peuple attaque la monarchie, il va contre la société et essaie de rétablir la république : "Il s'était battu dans l'affaire de mai 1839; et depuis lors, se tenait à l'ombre, mais s'exaltant de plus en plus (...) mêlant ses griefs contre la société à ceux du peuple contre la monarchie (...) On l'avait surpris portant de la poudre qu'il allait essayer à Montmartre, tentative suprême pour établir la République". Les conservateurs s'inclinent eux-mêmes pour la République : "Et des conservateurs, eux.mêmes, s'intitulent progressifs. Pour nous amener, quoi? la République? comme si elle était possible en France". Au moment de la chute du roi, tout le monde devient républicain : "Elle se déclara pour la République, comme avait déjà fait Monseigneur l'Archevêque de Paris, et comme devaient faire avec une prestesse de zèle merveilleuse, la Magistrature, le Conseil d'État, l'Institut, les Maréchaux de France (...) tous les bonapartistes, tous les légitismistes et un nombre considérable d'orléanistes". "C'était un arbre de la Liberté qu'on plantait. MM. les écclésiastiques cncouraient à la cérémonie, bénissant la République, escortés par des serviteurs à galons d'or; et la multitude trouvait cela très bien". Les groupes politiques D'un côté on trouve le parti conservateur, opposé radicalement aux socialistes. Voyons : "Comme il prêchait la fraternité aux conservateurs et le respect des lois aux socialistes, les uns lui avaient tiré des coups de fusil, les autres apporté une corde pour le pendre". Il y a aussi un trosième parti de centre gauche, le tiers parti qui s'incline plutôt à la droite : "Le tiers parti décidément allait trop loin! Le centre gauche aurait dû se souvenir un peu mieux de ses origines!". "...les vieux ténors du centre gauche, les paladins de la droite, les burgraves de juste milieu, les éternels bonshommes de la comédie (..) tous ces gens qui avaient la Constitution, s'évertuant à la démolir". Les clubs ont aussi beaucoup d'importance à l'époque. Il y en a trop. Lorsque Frédéric veut se présenter aux élections, il est obligé de les parcourir tous : "Ils visitèrent tous les clubs (...) les rouges et les bleus, les furibonds et les tranquilles, les puritains, les débraillés..." Le concept de Démocratie L'adjectif démocrate est associé à celui de républicain. C'est le républicain par excellence, Sénécal, qui la définit : "La Democratie n'est pas le dévergondage de l'individualisme. C'est le niveau commun sous la loi, la répartition du travail, de l'ordre!". D'après cela, donc, c'est une nouvelle forme d'autoritarisme. Mais plus tard, il donne une autre défnition plus logique : "Les autres (...) l'écoutaient discourir sur le suffrage universel, d'où devait résulter le triomphe de la Démocratie, l'application des principes de l'Evangile". L'oppositon Francs-Gaulois Cette opposition subsiste malgré tout le processus historique d'assimilation. Les Francs représentent la classe dominante et les Gaulois, la classe populaire. En voilà des citations : "Toutes les injustices étaient consacrées par un extension de ce droit (le droit de tester), qui était la tyrannie, l'abus de la force (...) Abolissons-le et les Francs ne pèseront plus sur les Gaulois." Pendant la Révolution, ce sont, donc, les Gaulois qui se lèvent contre les Francs. Voyons : "Frédéric, bien qu'il ne fût pas guerrier, sentit bondir son sang gaulois". À titre d'anecdote, il faut dire que la femme gauloise jouait jadis un rôle préeminent : "D'après Mlle Vatnaz, la femme devait avoir sa place dans l'État. Autrefois, les Gauloises légiféraient". La Révolution de 1789 Cette révolution constitue l'antécédent immédiat de la nouvelle Révolution de 1848, d'après le texte : "Un nouveau 89 se prépare! On est las de constitutions, de chartes, de subtilités, de mensonges". La Révolution française, à notre avis, a beaucoup uni les Français parce qu'elle leur a donné un sentiment commun de la patrie. Mais, à l'époque, on ne ressentait pas cela. Il y avait, par contre, de vraies divergences : "- J'admire Molière comme précurseur de la Révolution française. - Ah! la Révolution! Quel art! Jamais il n'y a eu d'époque plus pitoyable! - Pas de plus grande, monsieur!". "C'est comme le sieur St Simon et son église, avec sa haine de la Révolution française". La Révolution de 1848 La situation était assez grave : Le régime exerçait la censure de presse : "Est-ce que les journaux sont libres? (...) Le Gouvernement nous dévore.Tout est à lui, la philosophie, le droit; et la France râle, énervée, sous la botte du gendarme et la soutane du calotin". D'autre part les droits de succession produisaient beaucoup d'envies naturelles et de ressentiments : "Les successions collatérales seraient abolies, un de ces jours, à la prochaine révolution". Tout cela aboutissait à un renversement de l'ordre établi : "Je bois à la destruction complète de l'ordre actuel, c'est-à-dire de tout ce qu'on nomme Privilège, Monopole, Direction, Hiérarchie, Autorité, État! - et d'une voix plus haute : - que je voudrais briser comme ceci, en lançant sur la table le beau verre à patte, qui se fracassa en mille morceaux". "Sénécal, oubliant ses misères, il parla des choses de la patrie, les Croix d'honneur prodiguées à la fête du Roi, un changement de cabinet, les affaires Drouillard et Bénier, scandales de l'époque, déclama contre les bourgeois et prédit une révolution". Malgré cette déclamation d'un républicain austère contre les bourgeois, ceux-ci ont participé activement dans la révolution alliés aux ouvriers : "Tout va bien; le peuple triomphe : les ouvriers et les bourgeois s'embrassent." Les journées proprement révolutionnaires sont décrites minutieusement dans le texte. En voilà quelques citations : "Il entendit derrière la Madeleine une grande clameur; il s'avança; et il aperçut au fond de la place, à gauche, des gens en blouse et des bourgeois. En effet, un manifeste publié dans les journaux avait convoqué à cet endroit tous les souscripteurs du banquet réformiste. Le Ministère, presque immédiatement, avait affiché une proclamation l'interdisant. La veille au soir, l'opposition parlementaire y avait renoncé; mais les patriotes, qui ignoraient cette révolution des chefs, étaient venus au rendez-vous, suivis par un grand nombre de curieux.". "Quand les étudiants eurent fait deux fois le tour de la Madeleine, ils descendirent vers la place de la Concorde. Elle était remplie de monde; et la foule tassée semblait, de loin, un champ d'épis noirs qui oscillaient". "Des hommes des faubourgs passaient, armé de fusils, de vieux sabres, quelques-uns portant des bonnets rouges, et tous chantant la Marseillaise ou les Girondins, ça et là, un garde national se hâtait pour rejoindre sa mairie." Le triomphe et la désolation La duchesse d'Orléans est nommée régente, mais la République s'installe : "On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge". Il y a quand mème beaucoup de contradictions, parce que les nouveaux républicains essaient de maintenir le status quo : "En effet, avoir combattu l'émeute, c'était avoir défendu la République. Le résultat, bien que favorable, la consolidait; et, maintenant qu'on était débarrassé des vaincus, on souhaitait l'être des vainquers". La désolation est , donc, très grande et le triomphe n'est absolument pas complet. Voyons : "Maintenant, ils tuent notre République (...). On a abattu les arbres de la Liberté, puis restreint le droit de suffrage, fermé les clubs, rétablie la censure et livré l'enseignement aux Prêtres, en attendant l'Inquisition". Conclusion Avec les citations et les descriptions précédentes, on peut considérer que ce roman est un essai presque réussi qui décrit bien la situation socio-politique du moment. Ainsi peut-on dire que "L'ëducation sentimentale" est une oeuvre littéraire très proche du XX siècle et le premier roman proprement moderne. |