Germinal : Étude du langage métaphorique.
    Carlos González González

    La métaphore est un moyen stylistique qui, paradoxalement, s'approche plus des sensations de la réalité que le langage non métaphorique, lequel exprime tout simplement la description directe des choses. On peut dire dans un langage direct : "Cet homme travaillait beaucoup"; mais si cela est dit dans un langage métaphorique, nous avons par exemple : "Il avait le sang bu et les os avalés par les roches". De cette façon, la sensation et la connaissance de la réalité sont beaucoup plus expressives et même mieux obtenues. C'est pour cela que le langage de Zola devient vraiment poétique, d'où le naturalisme qui en ressort. Ce naturalisme ne consiste pas à transcrire la réalité telle qu'elle est, mais à exprimer les impressions que notre esprit en reçoit.
    Il y a beaucoup de métaphores stéréotypées dans le langage courant du type : "Les lumières de l'esprit, la fleur des ans, une pluie de balles, etc". Ce qui est le plus important chez Zola, c'est que les métaphores qu'il introduit possèdent une fraîcheur et une qualité extraordinaires. Elles sont complètement nouvelles dans la langue, ce que l'on verra tout de suite.
    L'homme et la matière.
    À travers ce roman, on exprime très carrément l'animalité humaine avec tous ces défauts et ces vices. Les hommes sont réduits à la condition d'animaux, de troupeaux ou de bétail. Citons des exemples de ce que l'on vient de dire :
    "...des gens logés, chauffés, soignés aux frais de la Compagnie. Dans son indifférence pour ce troupeau, elle ne savait de lui que la leçon apprise, dont elle émerveillait les Parisiens en visite; et elle avait fini par y croire, elle s'indignait de l'ingratitude du peuple".
    "Partout, dans la brume du matin (...) le troupeau piétinait, des files d'hommes trottant le nez vers la terre".
    "...cet étouffement chaud des chambrées les mieux tenues, qui sentent le bétail humain".
    Sur le plan individuel, les mineurs sont comparés aux insectes et même aux bêtes. Cela nous donne une idée bien claire de leur exploitation. Voyons des citations :
    "...jamais la mine ne chômait, il y avait nuit et jour des insectes humains fouissant la roche".
    "Son orgueil d'homme se révoltait à l'idée d'être une bête qu'on aveugle et qu'on écrase".
    "Son corps de bonne bête trop féconde, déformée sous la culotte et la veste de toile".
    L'animalité peut parvenir au rang des animaux mammifères, c'est-à-dire, au niveau des singes. La similitude homme-singe, c'est justement une question de forme, de matière, parce que les singes ne sont pas soumis aux pénalités humaines. En voilà :
    "C'était une besogne obscure, des échines de singe qui se tendaient, une vision infernale de membres roussis".
    Parfois la comparaison métaphorique est remplis d'un matérialisme ironique :
    "Du dos, elle était descendue aux fesses; et lancée, elle poussait ailleurs, dans les plis, ne laissant pas une place du corps sans y passer, le faisant reluire comme ses trois casseroles, les samedis de grand nettoyage".
    La femme lave, donc, le corps de son mari sale comme s'il s'agissait des casseroles.
    Les conditions sociales sont par conséquent épouvantables et les mineurs sont poussés à faire travailler leurs enfants et leurs femmes. Voyons des exemples :
    "Une galopine qui en savait plus et qui poussait sa berline aussi raide qu'une femme, malgré ses bras de poupée".
    L'idée explicite est claire : le corps de la fille est nautrellement faible ("bras de poupé"), mais à cause de l'habitude elle est aussi forte qu'une femme. Voyons d'autres exemples :
    "...un flot de mineurs montaient au puits, cédant le feu à d'autres. Jeanlin sans attendre son père, alla lui aussi prendre sa lampe, avec Bébert, gros garçon naïf, et Lydie, chétive fillette de dix ans".
    "L'enfant poussa de nouveau sa berline, éreintée, boueuse, raidissant ses bras et ses jambes d''nsecte, pareille à une maigre fourmi noire en lutte contre un fardeau trop lourd".
    L'image de la fourmi est très visuelle et très connue, à ce que l'on voit, mais dans ces conditions d'exploitation des enfants, cette métaphore se renouvelle.
    Examinons maintenant le travail des femmes, aussi pénible que celui des hommes :
    "Le projet d'exclure les femmes du fond répugnait d'ordinaire aux mineurs, qui s'inquiétaient du placement de leurs filles, peu touchés de la question de moralité et d'hygiène".
    "Pierron (...) gifla sa fille parce qu'elle avait quitté la taille avant l'heure".
    "Quand un mineur voulait une prolongation du crédit, il n'avait qu'envoyer sa fille ou sa femme, laides ou belles, pourvu qu'elles fussent complaisantes".
    Tout le monde travaille, même les chevaux. Ceux-ci s'identifient avec les conditions générales. En voilà des exemples:
    "C'est très curieux de trouver un cheval qui fait son travail de même qu'un homme, à exception d'une seule chose : qu'on ne lui paye pas".
    En même temps, ils sont intelligents parce qu'ils participent aussi de la nature humaine : ils pensent, ils imaginent, ils comptent, etc. Citons :
    "À l'écurie, voisins de mangeoire, ils vivaient la tête basse, se soufflant aux nasaux, échangeant leur continuel rêve du jour, des visions d'herbes vertes, de routes blanches, de clartés jaunes".
    "Sans doute aussi il comptait ses tours, car lorsqu'il avait fait le nombre réglementaire de voyages, il refusait d'en recommencer un autre, on devait le reconduire à sa mangeoire".
    Les métaphores envahissantes.
    Nous appelons métaphores envahissantes celles qui remplissent tout un espace défini : la maison, la mine, etc.
    L'élément qui envahit la maison, c'est proprement le sommeil qui marque toute une situation de libération. Allons, comme toujours, au texte :
    "Des ténèbres épaissses noyaient l'unique chambre du premier étage, comme écrasant de leur poids le sommeil des êtres que l'on sentait là".
    "Le vieux (...) travaillant la nuit, se couchait au jour; de sorte que le lit ne refroidissait pas; il y avait toujours dedans quelqu'un à ronfler".
    "En haut, le père Bonnemort ronflait toujours, d'un ronflement rythmé qui berçait la maison".
    "Dans la maison noire, il n'y avait d'autre bruit que les ronflements de Maheu et de la Maheude, roulant à intervalles réguliers, comme des souflets de forge".
    Le sommeil, donc, et plus justement le ronflement , passe de l'homme à son espace vital. Le repos ainsi produit fait appel plutôt à toute la maison.
    Zola emploie aussi de très nombreuses métaphores pour définir l'espace sans doute le plus important, c'est-à-dire, la mine : "nuit, immensité des ténèbres, puits dévorateur, fourmilière géante..." En voilà :
    "Le vent passait avec sa plainte comme un cri de faim et de lassitude venu des profondeurs de la nuit".
    Il y en a aussi une sorte de filtre entre le vent et le cri. L'un des deux éléments prend les propriétés de l'autre et viceversa. Ainsi le vent présente-t-il  une qualité du cri : la plainte; et le cri, un soufle, propriété du vent.
    Voyons plus d'exemples :
    "Le puits dévorateur avait avalé sa ration quotidienne d'hommes (...) qui besognaient à cette heure dans cette fourmilière géante".
    On y trouve deux figures stylistiques : la métaphore et la prosopopée. La dernière consiste à personifier un être inanimé, dans ce cas, lea mine qui dévore comme une bête fauve. Aussi l'idée métaphorique de la fourmilière est-elle très simple, très visuelle et surtout très expressive. La mine est, donc, un corps vivant; alors c'est normal qu'un sentiment païen ou archaïque se réveille dans les mineurs, en la considérant leur idole :
    "Des croyances endormies se réveillaient dans ces âmes éperdues, ils invoquaient la terre, ils s'identifient avec la matière :
    "Ils avaient bu le feu, les brûlures descendaient jusque dans leur gorge".
    Aussi ont-ils un sentiment idôlatre de la Régie de la Compagnie. Elle leur ressemble à un Dieu mystérieux, inconnu :
    "Où était-ce, là-bas? Paris sans doute. Mais ils ne ne savaient pas au juste, cela se reculait dans un lointain terrifiant, dans une contrée inaccessible (...)  où tronait le dieu inconnu, accroupi au fond de son tabernacle (...) Il pesait sur les dix mille charbonniers de Montsou".
    Une autre métaphore constante est celle qui établit une équivalence entre la mine et la nuit :
    "Maheu avait une montre qu'il ne regarda même pas. Au fond de cette nuit sans astres, jamais il ne se trompait de cinq minutes".
    "Sans cesse des lampes étoilaient la nuit".
    L'opposition ténèbres-lumière.
    Presque tout le roman bouge dans les ténèbres. Les mineurs y sont noyés. Voyons :
    "Partout, dans la brume du matin, le long des chemins noyés de ténèbres, le troupeau piétianit....".
    "La foule restait noyée de ténèbres, peu à peu calmée, silencieuse".
    "Ce convoi sous la terre, au milieu des épaisses ténèbres, n'en finissait plus".
    La lumière éclate seulement à la fin du roman, quand la révolte a échoué. C'est le moment où les gens reprennent le travail, et Etienne s'en va, part pour Paris où il espère devenir dirigeant ouvrier. Beaucoup de mineurs sont morts, le sommeil de faim et de révolution a fini, mais le soleil brille quand même :
    "Maintenant, en plein soleil d'avril rayonnant dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait".
    "Le soleil paraissait à l'horizon glorieux, c'était un réveil d'allegresse, dans la campagne entière.  Un flot d'or roulait de l'orient à l'occident, sur la plaine immense".
    Bien que la relation soleil-or soit très traditionnelle, la nouveauté, c'est ce qu'on a déjà dit : Tout l'espace est plein d'or. Cela fait appel aux métaphores que nous avons appelées "envahissantes".